UTRECHT (ÉCOLE D’), peinture

UTRECHT (ÉCOLE D’), peinture
UTRECHT (ÉCOLE D’), peinture

UTRECHT ÉCOLE D’, peinture

Au cours de la première décennie du XVIIe siècle, les peintres nordiques accomplissent le voyage à Rome, devenu traditionnel pour tous les artistes de l’Europe occidentale désireux d’échapper au provincialisme, c’est-à-dire au maniérisme attardé. Utrecht, ville du sud des Pays-Bas, où des peintres comme Ter Brugghen, Honthorst et Baburen rapportent de Rome l’art révolutionnaire de Caravage, va devenir le centre d’une nouvelle école et d’un nouveau style, où s’opère la fusion du caravagisme et de l’esprit nordique, qui inspirera toute la grande peinture hollandaise (hormis Rembrandt, qui connaîtra l’art de Caravage à travers la version elsheimérienne qu’en donne le «romaniste» Lastman), à Haarlem, à Delft surtout, mais aussi à Amsterdam et à Leyde. À vrai dire, seul Ter Brugghen, à Rome en 1604, a pu connaître directement Caravage (et, bien qu’on ne lui connaisse pas d’œuvre antérieure à 1620, il est peu probable que sa peinture ait tout de suite été marquée par l’art de ce dernier). Lorsque Honthorst et Baburen arrivent à leur tour à Rome, respectivement en 1610 et en 1612, Caravage est mort, mais ses principaux tableaux sont accessibles, à Saint-Louis-des-Français, à Sainte-Marie-du-Peuple, chez les Giustiniani, les Barberini, les Borghèse... Outre le contact direct avec les œuvres du maître, c’est par l’intermédiaire d’un peintre comme Manfredi que va s’élaborer le caravagisme utrechtois: autour de 1615, Manfredi va populariser en quelque sorte le style de Caravage en traitant par prédilection des scènes de genre, réunions de buveurs, de joueurs de cartes ou de musiciens autour d’une table, qui auront un grand succès auprès des Nordiques, surtout après leur retour à Utrecht. L’influence de Caravage sur ces peintres va se manifester dans plusieurs domaines: le choix des thèmes, et plus encore la façon de les aborder, où se mêlent noblesse et trivialité (grande peinture religieuse, traitée de façon dramatique mais sans décorum, comme un événement familier, scènes de genre imprégnées de poésie et de mystère), la composition, se déployant dans un espace peu profond (figures monumentales groupées en frise qui se détachent sur un fond nu, et dont les gestes parfois violents sont comme immobilisés), et enfin le traitement du volume des corps par la lumière et l’ombre, visant à donner, grâce aussi à l’accentuation du contour, la sensation illusionniste et presque tactile de la présence physique du modèle vivant qui joue dans cette peinture un rôle considérable. On peut distinguer schématiquement deux phases dans le caravagisme utrechtois. La première, de 1615 à 1622, époque à laquelle les peintres nordiques, formant la Schilderbent , parmi lesquels on compte les Utrechtois Jan van Bijlert, Paulus Bor surnommé Orlando, Jan Woutersz, Pietersz Crabeth, originaire de Gouda, Christian van Couwenberg de Delft, dominent à Rome, avec Baburen et Honthorst qui reçoivent de grandes commandes officielles (Ter Brugghen est rentré à Utrecht depuis 1614). Cette première phase est marquée par une plus stricte fidélité à Caravage (les thèmes traités sont alors uniquement religieux), soit dans les compositions, par exemple la Mise au tombeau de Baburen, de 1627 environ (San Pietro in Montorio, Rome), le Couronnement d’épines et la Vocation de saint Matthieu de Ter Brugghen, tous deux en 1620 (coll. Speelman, Londres, et musée du Havre), soit dans le luminisme: ainsi Honthorst reprend-il le violent clair-obscur des œuvres tardives du maître, en l’amplifiant; il substitue en effet à l’éclairage latéral venant d’un point situé hors du tableau un éclairage artificiel, chandelle ou flambeau, dont le foyer est souvent caché par un des protagonistes et dont le rôle est de mettre l’accent sur l’axe de la composition, seul point éclairé, le reste du tableau étant dans les ténèbres (d’où le surnom de Gherardo delle Notte que l’artiste reçut des Italiens), et d’accuser le caractère dramatique de la scène. Ces nocturnes à la chandelle, dans lesquels Honthorst se montre, si l’on peut dire, plus caravagesque d’esprit que Caravage lui-même, connaîtront une grande fortune à Rome auprès du Français Trophime Bigot, plus tard du Nordique Mathias Stomer, et sans doute peut-on y voir la source des nocturnes de Georges de La Tour. La seconde phase, qui s’étend de 1623 environ, trois ans après le retour de Honthorst à Utrecht, jusque vers 1640, est celle d’un caravagisme apaisé, classicisant en quelque sorte, d’une peinture claire: à partir de 1627, Honthorst ne peindra plus de nocturnes; quant à Ter Brugghen, le plus doué et le plus original des membres de l’école d’Utrecht, il avait adopté dès le début les tons froids et vifs des maniéristes, et il atteindra alors à un grand raffinement dans les coloris que l’on va retrouver, en moins subtil peut-être, chez Vermeer de Delft. Les tableaux religieux, sans disparaître complètement, se font plus rares; les sujets de prédilection sont désormais choisis dans le domaine de la musique et du théâtre, et sont empruntés aux caravagesques italiens, tel Manfredi (à ces sujets vient se mêler le thème de l’entremetteuse qu’affectionnent les artistes nordiques). Du théâtre proviennent encore le goût des costumes de fantaisie, bérets à plumes et pourpoints rayés (autre apport italien qui va devenir un trait caractéristique des Utrechtois), et une tendance à la pastorale idyllique qui sera une des dernières formes, adoucie, du caravagisme nordique à laquelle la littérature hollandaise offrira ses sujets, les précédents étant Granida et Daifilo , thème inspiré du théâtre hollandais et traité par Honthorst et, curieusement, par Baburen, le plus violent des Utrechtois. Dès leur retour à Utrecht, les caravagesques ont entraîné dans leur sillage, pour un temps plus ou moins bref, des artistes, Utrechtois ou non, qui n’étaient pas allés en Italie: à Utrecht, Bronckhorst et Johan Moreelse, le Leydois Jacob III de Gheyn et Cesar van Everdingen d’Amsterdam; à Delft, Vermeer... Honthorst, le plus populaire, car le plus facile à imiter, finira même par influencer le vieux Bloemaert, maniériste qui avait formé les trois grands maîtres du caravagisme d’Utrecht. Frans Hals lui-même sera marqué par le luminisme clair des Utrechtois, auxquels il doit ce sens du modelé des visages et des mains. Vers 1645, le caravagisme décline à Utrecht et, même si un Van Galen à Hasselt peint encore dans les années 1660 des scènes de théâtre tout à fait dans la manière de Honthorst, depuis longtemps Ter Brugghen d’une part et Honthorst de l’autre ont abandonné la leçon de Caravage, le second pour se souvenir de celle des Carrache et s’inspirer de l’art de Rubens. Et sans doute ne devrait-on pas isoler le caravagisme d’Utrecht de son contexte; tout comme le souvenir de l’art italien prébaroque que les Utrechtois ont également connu à Rome explique le déclin du caravagisme nordique, en particulier chez Honthorst; on peut voir dans l’influence de Bassano, encore très présente à Utrecht au début du siècle, la raison pour laquelle le luminisme caravagesque a été si bien accueilli et compris dans cette ville (alors qu’en Flandre, et surtout à Anvers, l’influence de Caravage chez un peintre comme Rombouts, contrariée par les fortes personnalités de Rubens et de Van Dyck, dont l’art offre des solutions nouvelles, s’éteindra peu après son retour de Rome). À Utrecht, en outre, la veine maniériste, dont l’art de Ter Brugghen et de Baburen conservera pendant un temps certaines caractéristiques (chairs boursouflées et poses contorsionnées), resurgit ou se prolonge dans certains traits du nouveau courant caravagesque; certains thèmes comme celui de l’entremetteuse et de l’amour vénal et certaines mises en page (figure en gros plan et à mi-corps) l’attestent. En définitive, le caravagisme d’Utrecht a permis à la peinture hollandaise du XVIIe siècle de se mesurer à l’art de Rubens et au baroque italien de définir le cadre qui va être désormais le sien jusqu’à la fin du siècle: celui de la peinture de genre, d’une peinture d’intérieur et d’atmosphère qui ira en se raffinant toujours davantage.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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